Entretien avec Joël de Rosnay

Aquæ : Vous ouvrez la Conférence Mer&Santé en octobre prochain sur Biarritz avec le thème : La mer est notre avenir. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Joël de Rosnay : La mer est certainement notre avenir, mais elle est aussi notre passé. En effet, la vie est née dans les océans. L’origine de la vie s’est produite dans des eaux chaudes favorisant les réactions moléculaires catalysées probablement par des argiles, à partir de substances produites dans l’atmosphère primitive par l’effet des radiations ultraviolettes sur les gaz qui s’y trouvaient il y a 3 milliards d’années (méthane, ammoniac, CO2, hydrogène). La vie a ensuite évolué dans les océans sous forme de bactéries primitives et d’algues microscopiques encore présentes aujourd’hui.
La mer est notre avenir parce que les océans représentent 70 % de la surface de la planète. Et donc des sources de médicaments et d’énergies renouvelables. La France est privilégiée car son littoral représente 5.500 km de côtes sur 3 façades maritimes, réparties sur 883 communes, 450 ports, 26 départements et 11 régions. Ce qui offre une extraordinaire variété de ressources, non seulement touristiques mais aussi énergétiques, alimentaires et médicales.

Aquæ : Quelles sont les différentes énergies marines auxquelles vous faites références ? Quels sont les projets concrets qui s’y consacrent aujourd’hui ?

J de R : Il y a plusieurs types d’énergies renouvelables attachées à l’environnement marin. Il faut citer tout d’abord le fait que le vent est plus fort en mer qu’à l’intérieur des terres. D’où l’importance de l’exploitation de ce que l’on appelle l’éolien offshore, constitué par des plates-formes sur lesquelles sont placées des éoliennes de plusieurs mégawatts. Quatorze zones propices en France ont été identifiées pour l’éolien marin. Les professionnels de ce type d’énergie ont évalué un gisement potentiel de 80.000 MW au large des côtes françaises. Ce qui représente 13.000 turbines de 6 MW. Mais pour des raisons d’acceptabilité, les éoliennes devront être installées au-delà de dix kilomètres de la côte.
En plus des éoliennes, il y a l’énergie des vagues. Exploitée par plusieurs pays dont l’Angleterre ou le Portugal par exemple. Le projet anglais Pelamis, testé actuellement à La Réunion, consiste en une sorte de train qui flotte en oscillant sur la houle, ce qui produit de l’énergie grâce à des vérins coulissants. Au Portugal, les vagues frappent une digue, remplissant un réservoir qui se vide après chaque période de vagues, en faisant tourner des turbines produisant de l’électricité. N’oublions pas la centrale marémotrice de la Rance créée depuis longtemps en France mais qui a connu des problèmes dus notamment à la corrosion.
L’énergie marine c’est aussi ce que l’on appelle l’énergie thermique des mers (ETM, ou OTC en anglais). On sait que la surface de l’eau est plus chaude que l’eau des profondeurs. Grâce à cette différence de température, on peut actionner des turbines produisant de l’électricité.
Enfin, l’équivalent marin des éoliennes tournant grâce au vent, sont des hydroliennes sous-marines tournant grâce aux courants ou aux marées. Les premières hydroliennes françaises ont été immergées en Bretagne par EDF. D’un diamètre de 16 m et d’un poids de 1000 tonnes, elles seront les premières d’un parc hydraulicien qui sera le premier au monde avec 4 turbines de 2 MW.

Aquæ : En quoi l’océan, comme régulateur de climat, est-il un élément décisif pour la santé de chacun ?

J de R : L’océan joue un rôle fondamental dans la régulation du climat mondial : il échange de la chaleur et des gaz avec l’atmosphère grâce aux courants et aux vents qui balaient sa surface. L’océan global fait le tour de Terre et fonctionne comme une machine thermodynamique étroitement couplée avec l’atmosphère. Les eaux océaniques, en perpétuel mouvement, présentent des caractéristiques de température et de salinité très diversifiées qui traduisent les quantités de chaleur et d’eau douce qu’elles transportent d’un bout à l’autre de la planète. La « machine-océan » demeure une composante régulatrice du climat mondial et donc de notre santé, soumise à la météorologie, à l’exposition au soleil ou au contraire à l’effet psychologique du mauvais temps. Certaines personnes pouvant être atteintes de ce que l’on appelle le « syndrome dépressif saisonnier » dans des pays dans lesquels la couverture nuageuse se produit au cours d’une majorité de jours de l’année. L’océan influe aussi sur notre santé par l’intermédiaire de la pêche et des poissons qui jouent un rôle important dans une alimentation équilibrée, ainsi que grâce aux algues utilisées notamment dans l’industrie pharmaceutique ou cosmétiques. Grâce aux travaux de René Quinton en 1904 on sait désormais que la composition de l’eau de l’océan est très voisine de celle du plasma sanguin. Plusieurs pays exploitent l’eau de mer profonde pour l’industrie pharmaceutique cosmétique ou alimentaire.

Aquæ : Quelles sont les potentialités pharmacologiques de l’océan ?

J de R : L’océan est en train de devenir la plus grande pharmacopée du monde. Ses nombreuses espèces animales, végétales et bactériennes renferment un nombre très élevé de molécules aux propriétés importantes. Grâce aux compléments alimentaires mais aussi aux produits anticancéreux et antibiotiques, des produits de la mer commencent à soigner les hommes. Déjà la cosmétique utilise des algues, telles que des spirulines comme compléments nutritionnels pour la qualité des ongles, des cheveux ou de la peau, en raison de leur teneur en silicium. Mais on peut utiliser aussi des biomatériaux comme le chitosan, provenant de chitine, matériau biologique très abondant, principal constituant de la carapace des crustacés. Le chitosan a désormais de nombreuses applications, notamment pour fabriquer de la peau artificielle ou des lentilles de contact. Un grand espoir repose sur les micro-organismes présents dans les fonds marins ainsi que sur des espèces telles que des éponges, des ascidies (ou tuniciers) ou même des cônes, mollusques très toxiques mais à partir desquels on peut extraire des médicaments antidouleur plus puissants que la morphine.

Aquæ : Depuis quand s’appuie-t-on sur l’environnement marin afin de développer des médicaments ?

J de R : Il y a 5000 ans, les Chinois traitaient les ulcères de l’estomac et les goitres avec des algues. Au début du XXe siècle, René Quinton découvrait que l’eau de mer avait la même composition chimique que le plasma humain et développait le « plasma de Quinton » commercialisée depuis. Mais l’exploitation systématique des produits de la mer, surtout des médicaments sous forme d’antibiotiques ou des produits cosmétiques reste assez récente. La découverte de la pénicilline en 1928 a conduit à des expéditions de recherche systématique d’autres produits thérapeutiques dans les mers.

Aquæ : Quelles sont les méthodes qui permettent l’exploitation des ressources marines en tant que médicaments ?

J de R : On utilise des missions de récolte avec les taxonomistes plongeurs. Mais ces missions qui durent plusieurs semaines sont lourdes et coûteuses. Les échantillons provenant du monde entier doivent être analysés puis, si l’organisme paraît potentiellement intéressant, les chimistes préparent des extraits pour faire réaliser des premiers tests d’activité. Cependant l’environnement océanique reste difficile d’accès ainsi, évidemment, que les fonds marins situés à plusieurs milliers de mètres en profondeur. Par ailleurs, l’extraction des molécules en quantité suffisante est coûteuse. La méthode de bio-prospection qui consiste à recenser toutes les espèces afin de préserver la biodiversité, mais aussi pour rechercher des produits à haute valeur ajoutée, est en plein essor. Aujourd’hui cependant seulement 200 000 espèces animales marines ont été décrites, ce qui est 10 fois moins importants que le nombre d’espèces terrestres. Quant aux micro-organismes marins, même si environ 10 000 ont été étudiés, les biologistes estiment que 99 % restent à découvrir.

Aquæ : Pouvez-vous présenter quelques découvertes récentes issues du milieu marin et qui pourraient se développer en médicament / antibiotique ?

J de R : Des molécules anti tumorales ont été développées, telles que la Trabectedine ou Yondelis provenant d’un tunicier fixé sur le fond. Des antibiotiques comme la céphalosporine et des antiviraux comme l’AZT proviennent également d’espèces marines. On a récemment découvert grâce à une bactérie des sédiments marins, un antibiotique puissant l’Anthracimycine capable de lutter contre le staphylocoque doré résistant à la méticilline.

Aquæ : Quelles autres richesses l’océan peut-il encore apporter à l’homme ?

J de R : On estime que l’eau des grandes profondeurs peut avoir de nombreuses applications commerciales. Déjà plusieurs pays comme Hawaï ou l’île Maurice ont créé une « industrie bleue » fondée sur l’exploitation de l’eau profonde. Grâce à certains courants marins, et à une réduction très importante des pollutions, l’Ile Maurice a lancé le projet : « Land Based Oceanic Industry ». Ce projet gouvernemental, auquel participent plusieurs entreprises internationales, a des objectifs ambitieux : produits de santé, désalinisation pour la production d’eau minérale, aquaculture, produits pharmaceutiques, culture d’algues, culture de perles, thalassothérapie, sel marin de haute pureté.
D’autres projets internationaux concernent la culture d’algues pour la production de biocarburants de troisième génération. En effet ces algues très anciennes appelées cyanobactéries, croissent dans l’eau salée, utilisent le CO2 comme source de carbone, le soleil comme source d’énergie et produisent du bioéthanol, tout en dessalant l’eau de mer à raison de trois litres d’eau de mer pour un litre d’eau douce. De plus, grâce à la biologie de synthèse, plusieurs laboratoires dans le monde cherchent à faire produire par ces algues, non plus du bioéthanol mais de l’hydrogène utilisable dans des piles à combustible pour produire de l’électricité et alimenter ainsi des véhicules à moteur ou des foyers.
Toujours dans le secteur de l’énergie, certaines algues vertes polluantes, et considérées comme toxiques car elles produisent du sulfure d’hydrogène (H2S) peuvent être transformées en biogaz, brûlé pour produire de la vapeur et de l’électricité.

joel de rosnay surf

Docteur en Sciences, Conseiller de la Présidente d’Universcience (cité de la science et de l’industrie de la Villette), Président de Biotics International. Ancien chercheur et enseignant au Massachusetts Institute of Technology dans le domaine de la biologie et de l’informatique, Joël de Rosnay a successivement été Attaché scientifique auprès de l’Ambassade de France aux États-Unis et directeur scientifique à la société Européenne pour le Développement des entreprises…. Il a également été chroniqueur scientifique à Europe 1 de 1987 à 1995 et auteur de plusieurs ouvrages destinés à un large public : Les origines de la vie (1965), Branchez-vous (1985), et son dernier, Surfer la vie (2012). Lauréat du Prix de l’Information scientifique de l’Académie des sciences (1990), il a été élu « Personnalité numérique de l’année 2012 » par Acsel (Association pour l’Économie numérique).

2 comments on “Entretien avec Joël de Rosnay

  1. Philippe Etcheverry -

    J.de Rosnay passe une grande partie de l’année à Bidart. Il a été consultant sur le projet de la Cité de l’Océan. Comment se fait il que toutes ces avancées dont il parle (énergie marine, production de médicaments, recherches…) soient absentes de notre Côte Basque ?

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