Surf et Surdité: l’écoute Corporelle du Milieu Naturel

Sauveteur en mer, dès 1979, impliquée dans l’organisation du sauvetage sur les Postes de Secours Océan de Gironde, c’est tout naturellement que je me suis orientée vers l’éducation spécialisée.

Pour avoir travaillé auprès d’adultes handicapés moteur et observé le comportement d’enfants autistes dans le cadre d’un travail en « pataugeoire », j’ai pu constater les innombrables atouts du milieu aquatique tant au niveau moteur que psychique. Après l’écriture d’un mémoire  » Eauphorie  » qui traite du portage par l’eau et des bienfaits du milieu aquatique, j’ai utilisé cet élément, dans ma profession, comme principal facteur de médiation de la relation, de l’accompagnement et du  » soin  » à apporter aux personnes fragilisées.

Le corps comme moyen d’expression
Depuis 1988, je travaille auprès de jeunes sourds et malentendants. C’est d’abord dans des activités d’apprentissage de la natation en milieu naturel que j’ai pu observer et apprécier la capacité de ces jeunes à utiliser leur corps comme moyen d’expression. Lors d’une pluie d’été, les jeunes avaient pris possession d’une flaque de boue pour se badigeonner le corps en y associant des mimiques « tribales ». La boue, en tant qu’élément aquatique, était là comme une encre passée sur leur corps leur permettant d’exprimer et d’écrire un langage évident pour eux, celui du corps fort et libéré, une « mise en évidence » linguistique de leur sensation, une expression singulière et profonde.
Personnellement, de cette expérience a émergé comme une sorte de sensitivité universelle. Le corps enveloppé dans cette pellicule aquatique, écoute, ressent et répond, à des niveaux d’intensité plus ou moins exacerbés, selon les personnes. Les vibrations ainsi ressenties offrent une expression clarifiée. Ici, le partage n’est plus celui de la parole mais bien celui du corps.
Dans l’activité surf, non seulement le corps est en relation directe avec l’eau mais la planche, sur lequel on se tient, devient une « mini scène » où se joue et se donne à voir ses propres capacités aux autres.

L’eau comme moyen de communication
La planche de surf est pour tout pratiquant, une scène depuis laquelle on s’exprime. C’est un lieu de communication où l’on se mesure à l’élément et l’on évolue sous les regards. Il s’agit d’une double performance. De fait, la reconnaissance et l’intégration s’en voient favorisés.
L’ensemble des intervenants qui ont eu à partager ces activités avec cette population ont tous observé et témoigné de l’application de ces jeunes à approcher le geste parfait et à répondre efficacement à la discipline sportive.
Laurent Rondi, Président du Lacanau Surf Club, me rapportait encore récemment son étonnement de voir à quelle vitesse les jeunes sourds réalisaient les exercices demandés.
En effet, ils compensent largement leur déficience auditive par leur finesse d’observation et leur rapidité d’exécution des consignes. On note, au passage, que cette capacité d’attention est également favorable à la solidarité du groupe et à sa sécurité.

Témoignages et réflexivité
C’est à l’occasion de « retours sur l’expérience » que j’ai pu récolter les sensations et les ressentis de chaque jeune en fonction de leur atteinte auditive. Pour les sourds profonds et sévères, il semble que le temps de l’activité soit un moment où ils apprécient le  » silence  » car ils doivent déposer leurs prothèses auditives au vestiaire, se retrouvant ainsi  » nus  » dans ce milieu naturel. Bien sûr, ils n’entendent pas le bruit des vagues et du vent, mais ils en ressentent les vibrations et la caresse de façon plus sensible que quiconque.
Ainsi Kévin me décrit qu’il apprécie le silence et que lorsqu’il passe sous les vagues, il ressent les vibrations au niveau de sa boîte crânienne et entend les sons sous-marins et l’intensité des vagues.
De son côté, Julien, atteint d’une surdité moyenne, sous l’eau, ressent et entend, selon la force des vagues, le bruit du fond, l’eau qui brasse le sable.
Une éducatrice, elle-même malentendante, qui m’accompagnait dans cette activité, m’a témoigné que sans ses appareils, elle m’entendait lui parler, sans forcer ma voix, grâce à l’eau qui se logeait dans la conque de son oreille.
Pour d’autres, comme Erika, sourde à 100%, la perception de l’océan est épidermique et se traduit par le ressenti de vibrations sur tout le corps, au point qu’elle nous en décrit les frissons qui la parcourent et lui laissent une impression d’étrangeté qu’elle définit comme « bizarre » dans son interview (cf. : Extrait du Reportage M6 en 2007).

De mon point de vue, il est clair que les personnes sourdes et malentendantes ont une connaissance physique du milieu aquatique. Et si cet environnement naturel participe aussi à la connaissance d’eux-mêmes, l’activité surf est, pour eux, l’occasion de renforcer en tout point « l’estime de soi ». Leur relation à l’eau favorise : la circulation des ondes sonores, la perception physique des vibrations aquatiques et contribue à améliorer leurs capacités cognitives, sensorielles, et par là-même, leur rapport au monde. Plus que d’autres, les personnes sourdes et malentendantes nous étonnent par leurs capacités d’écoute corporelle de l’environnement.

Isabelle Steger

3 comments on “Surf et Surdité: l’écoute Corporelle du Milieu Naturel

  1. MONTASSER -

    Je trouve intéressant ces expériences thérapeutiques par le milieu naturel initiées par des éducateurs qui sortent du conventionnel. Notre corps étant constitué à plus de 70% d’eau, il semble logique cette « liaison » aquatique. Bonne continuation.

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  2. Monseigne Annick -

    Une très belle expérience ! Et au-delà, des pistes de réflexion qui visent à enrichir les modes de communication des jeunes sourds et malentendants et faciliter leur insertion.

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