D’un point de vue pharmacologique, l’océan représente aujourd’hui un enjeu considérable. Les nombreux projets de bioprospection marine en témoignent. Pharmasea est l’un de ceux-là. Décryptage.
La bioprospection est une pratique qui vise à inventorier les différentes ressources biologiques ou biodiversité. Elle peut être appliquée sous différents objectifs : scientifiques, économiques et environnementaux. Son application la plus courante est celle qui se retrouve dans le catalogue des nombreux produits issus du domaine industriel : cosmétique, agroalimentaire, actions phytosanitaires. En pharmacologie, le domaine phare, 50 % de la pharmacopée proviendrait de la diversité du vivant.
Toutefois, ces potentialités demeurent encore peu exploitées, un manque de mise en œuvre qui reflète le manque de connaissance sur la biodiversité. Si cela est vrai pour la biodiversité terrestre, il semble que ce soit encore plus le cas pour la biodiversité marine. En 2004, l’US Commission on Ocean Policy publiait un rapport, An ocean blueprint for the 21th century, dans lequel il observait notamment le peu de médicaments issus de la bioprospection océanique.
La bioprospection marine, explorer les océans
La bioprospection marine concerne la recherche, chez les organismes vivants des océans, de composés présentant des possibilités d’applications potentielles ou avérées. Autrement dit, il s’agit d’extraire de la biodiversité marine des éléments pouvant par la suite être utilisés de manière bénéfique, dans la vie quotidienne humaine. Avec plus de 300 000 espèces marines décrites à ce jour, les scientifiques estiment que le nombre d’organismes non répertoriés pourrait s’élever à plusieurs millions. De récentes découvertes comme la présence de toxines chez certaines espèces (champignons, éponges), ont démontré que ces dernières, une fois modifiées, permettaient, par exemple, le développement de médicaments anticancéreux servant dans les traitements de chimiothérapie.
À ce jour, seulement 11 000 produits d’origine marine ont été commercialisés contre plus de 155 000 issus des ressources naturelles de la terre. Pour beaucoup, l’avenir se joue dans cet habitat qui recouvre à 70 % la planète. Ses domaines d’application sont le biomédical, l’industriel et le nutraceutique¹. Le plus vaste étant le premier.
De plus en plus de chercheurs parcourent ainsi les océans à la recherche de micro-organismes. Tara Océans est un exemple dont il a été beaucoup question ces dernières années. Partie en 2010, l’expédition scientifique avait pour objectif de ramener des échantillons de planctons afin d’explorer, à l’échelle du génome, ces écosystèmes. Deux plus tard, en 2012, des milliers d’espèces sont ramenées et le projet Océanomics est lancé pour leur étude et leur recensement dans une base de données mondiale. Un autre projet d’ampleur est celui baptisé Pharmasea. Sa vocation est également la recherche de micro-organismes mais avec une finalité unique, celle de développer de nouvelles familles de médicaments.
Pharmasea, à la recherche de nouveaux médicaments
La majorité des antibiotiques actuellement disponibles ont été isolés à partir de sources terrestres et les tentatives récentes de bioprospection terrestre ont généralement entraîné la redécouverte d’antibiotiques connus ou de leurs analogues proches. Depuis 2003, aucun nouvel antibiotique n’a été enregistré. D’après le Professeur Marcel Jaspars de l’université d’Aberdeen au Royaume-Uni, institut co-pilote avec l’université de Louvain (Belgique), cela s’explique par le manque d’intérêt qui existe pour les nouveaux antibiotiques. Désormais utilisés pour de courtes périodes de temps avec une efficacité limitée à environ dix ans, ils ne représentent plus un investissement profitable pour les sociétés pharmaceutiques. « Si rien n’est fait pour lutter contre ce problème, nous retournerons à une époque pré-antibiotique dans dix ou vingt ans, dans laquelle les infections et les microbes actuellement bénins redeviendront dangereux », commente Thomas Vanagt, spécialiste en écologie marine et scientifique consultant environnement pour Pharmasea.
Commencé en octobre 2012, pour une durée de quatre ans, le projet Pharmasea a pour objectif de trouver, grâce à la méthode de la bioprospection, de nouveaux micro-organismes inconnus dans les profondeurs des océans. De nouvelles bactéries marines capables de produire des antibiotiques seront ainsi explorées, ainsi que la recherche sur des médicaments pouvant aider aux maladies du système nerveux central, les antioxydants et les solutions anti-inflammatoires également utilisées en cosmétique, seront menées. Avec la participation de chercheurs européens du Royaume-Uni, de Belgique, d’Espagne, d’Irlande, d’Allemagne, d’Italie, de Suisse et du Danemark, et de 24 partenaires (laboratoires et industriels) issus de 14 pays différents, il a pour point innovant d’explorer les océans les plus profonds, les plus froids de la planète, les régions d’Arctique et d’Antarctique, mais aussi les plus chauds.
La biodiversité dans les mers est très vaste. Les multiples invertébrés (éponges, tuniciers, bryozoaires et mollusques) prouvent la présence de micro-organismes. Plusieurs de ces composants, notamment le métabolite ET-743, extrait d’une espèce de tunicier, présentent des activités pharmacologiques prononcées et sont considérés comme des candidats pour de nouveaux médicaments principalement dans le traitement du cancer. D’autres sont actuellement développés en tant qu’analgésique (le ziconotide, extrait d’une toxine du mollusque Conus magus) ou pour traiter l’inflammation.
Pour accéder aux organismes marins vivant dans les fosses océaniques, à plus de 8 000 mètres de profondeur, les équipes scientifiques emploieront des stratégies généralement utilisées dans l’industrie du sauvetage pour réaliser les prélèvements. Grâce à des bateaux de pêche, les chercheurs immergeront un échantillonneur à l’aide de câbles dans les fosses pour récolter des sédiments. Les scientifiques tenteront de développer des bactéries et des champignons uniques à partir de ces sédiments pouvant être extraits afin d’isoler des molécules pharmaceutiques pour des tests pharmacologiques. Les premiers échantillonnages et tests devraient avoir lieu, très prochainement, en octobre 2013, dans la Fosse d’Atacama, à environ 160 km au large du Chili et du Pérou, dans l’Océan Pacifique. Par la suite, la recherche se dirigera vers les eaux arctiques au large de la Norvège et de l’Antarctique ainsi qu’au large de la Nouvelle-Zélande et de la Chine.
Rédigé par Aquæ
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1. Produit isolé ou purifié à partir d’aliments, il est habituellement vendu sous formes galéniques comme des capsules qui ne sont pas généralement associées à des aliments, et il a été démontré qu’il avait un effet physiologique bénéfique ou assurait une protection contre les maladies chroniques.